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Dites-nous Thay : Pourquoi courons-nous tout le temps?

21 Octobre 2014

Dites-nous Thay : Pourquoi courons-nous tout le temps?

C’est une habitude, un rĂ©flexe transmis par nos ancĂȘtres. Nous courons parce que nous ne sommes pas Ă  l’aise dans l’ici et maintenant. Nous courons aprĂšs quelque chose qui nous rendra plus heureux. DerriĂšre cette habitude, se cache la conviction que pour l’instant nous n’avons pas tout ce qu’il faut pour ĂȘtre heureux. Ainsi donc courons-nous vers le futur pour trouver de meilleures conditions de bonheur. Nous ne savons mĂȘme pas que nous courons. Et lorsque nous pratiquons la mĂ©ditation assise ou marchĂ©e avec le dĂ©sir de guĂ©rir ou dans tout autre but, nous nous projetons toujours dans l’avenir et nous sommes toujours en train de courir. Avoir un but c’est toujours courir. En revanche, quand la joie est prĂ©sente dans notre pratique, elle nous nourrit : c’est dĂ©jĂ  la guĂ©rison.

Mais il ne suffit pas de vouloir arrĂȘter de courir pour y parvenir. Cette course effrĂ©nĂ©e qu’est devenue notre vie a engendrĂ© des tensions qui se sont accumulĂ©es dans le corps. Comment nous dĂ©tendre ? La pleine conscience est la capacitĂ©, l’énergie qui permet de savoir ce qui se passe dans notre corps, dans notre esprit, dans nos sensations, dans notre environnement. Si nous sommes tendus, la pleine conscience nous informe qu’il y a tension. Avec la pratique de la pleine conscience, nous reconnaissons notre respiration : « J’inspire et je sais que j’inspire. » Nombreux sont ceux qui ignorent qu’ils respirent. Lorsque nous portons notre attention sur l’inspiration, l’esprit se pose uniquement sur elle, il n’a qu’un seul objet, et nous commençons Ă  nous concentrer. En maintenant la pleine conscience vivante, nous nous concentrons davantage, et la concentration permet de voir plus profondĂ©ment, de comprendre. La pleine conscience est intimement liĂ©e Ă  la concentration et Ă  la comprĂ©hension, ou vision profonde. La vision profonde permet de comprendre la souffrance, d’en sortir.

Respirer en pleine conscience est dĂ©jĂ  une vision profonde. « Je suis en vie » est une vision profonde qui apporte la joie. « Je marche sur cette planĂšte merveilleuse », est une autre vision profonde qui apporte la joie. L’oubli est l’opposĂ© de la pleine conscience. En chinois, les idĂ©ogrammes qui forment le mot « pleine conscience » signifient : « L’esprit rentre Ă  la maison dans l’instant prĂ©sent. »

En inspirant en pleine conscience nous voyons les habitudes qui nous poussent Ă  courir. Nous courons derriĂšre le sexe, l’argent, les distractions, le pouvoir, etc, ce sont des habitudes lĂ©guĂ©es par nos ancĂȘtres. Et il arrive souvent que, bien qu’ayant obtenu toutes ces choses, nous demeurions insatisfaits.

Lorsque nous comprenons que plus d’argent, plus de sexe et plus de pouvoir ne comblera pas nos manques, nous arrĂȘtons de courir. DĂšs lors, nous relĂąchons les tensions du corps. De cette dĂ©tente, naĂźt la joie et le bien-ĂȘtre, nous y prenons plaisir : la vie apparaĂźt dans toute son intensitĂ©, nous la goĂ»tons dans tout ce qu’elle a Ă  nous offrir, cette prĂ©sence Ă  la vie nous guĂ©rit du passĂ©. Pratiquer ainsi la respiration consciente et la mĂ©ditation marchĂ©e c’est dĂ©jĂ  la guĂ©rison.

Nous Ă©prouvons un mal-ĂȘtre. Nous souffrons et nos enfants souffrent parce que nous souffrons. Ce mal-ĂȘtre engendre des pathologies physiques et psychiques. Nous cherchons un moyen de guĂ©rir. La pratique de la pleine conscience peut guĂ©rir, mais ce n’est pas un moyen : elle est elle-mĂȘme la guĂ©rison. Lorsque nous pratiquons la respiration consciente, gardons Ă  l’esprit que chaque inspiration n’est pas un moyen, mais une fin en soi. Si nous respirons en telle sorte que pendant l’inspiration nous sommes dans le calme et la paix, alors la guĂ©rison est prĂ©sente. Si nous souffrons, ce n’est pas la pratique. La pleine conscience est le contenu de notre respiration. Elle nous permet d’entrer en contact avec notre corps et notre environnement. La nature a un pouvoir de guĂ©rison. Si vous vous abandonnez Ă  elle, la guĂ©rison est dans chaque pas, dans chaque respiration.

Nous savons que la Terre n’est pas seulement notre environnement, elle est en nous. Mais nous ne la laissons pas exercer son pouvoir de guĂ©rison parce que nous courons tout le temps. Nous recherchons quelque chose, et nous avons abandonnĂ© la nature. La respiration consciente et la mĂ©ditation marchĂ©e nous permettent de retourner Ă  nous-mĂȘmes, Ă  la nature pour guĂ©rir. Le corps et l’esprit ont un pouvoir de guĂ©rison mais nous ne leur permettons pas d’agir. L’organisation de la sociĂ©tĂ© gĂ©nĂšre beaucoup de tensions auxquelles nous ne savons pas rĂ©sister.

Nous avons la capacitĂ© de nous apaiser, mais elle n’est pas assez forte. Notre insatisfaction et notre malaise gĂ©nĂšrent une agitation qui se caractĂ©rise par une excitation mentale. L’agitation nous pousse Ă  chercher un objet pour oublier le malaise, et cette aspiration vers toujours plus, plus d’argent, plus d’objets, plus d’expĂ©riences, plus de connaissances empĂȘche l’esprit de se canaliser, de se concentrer sur ce qui lui fait du bien, sur la paix. L’agitation est l’oubli de soi, l’oubli de l’instant prĂ©sent.

Nous sommes agitĂ©s car nous ne savons pas quoi faire du vide intĂ©rieur, de la solitude, de la douleur. Nous recherchons toujours plus d’excitations, d’émotions fortes et d’expĂ©riences pour les recouvrir, pour nous donner l’impression de vivre intensĂ©ment. Nous attendons quelque chose, nous nous mettons en quĂȘte, nous vĂ©rifions la boĂźte mail, nous prenons le journal pour occuper notre esprit et faire taire le malaise diffus. Nous nous lançons dans une activitĂ©, dans de nouveaux projets, nous nous droguons avec le travail, non pour l’argent, mais pour nous y rĂ©fugier. Nous Ă©coutons de la musique, nous regardons la tĂ©lĂ©vision, nous nous adonnons Ă  un sport, nous nous perdons dans les voyages, nous apprenons des langues Ă©trangĂšres ou nous Ă©tudions le Bouddhisme pour oublier le manque de paix. Nous nous disons que ces activitĂ©s ne font de tort Ă  personne. Nous utilisons aussi la mĂ©ditation pour couvrir l’absence de paix. Les diffĂ©rentes pratiques de mĂ©ditation ne servent Ă  rien si nous ne savons pas comment les appliquer. En effet, certaines personnes atteignent un Ă©tat de mĂ©ditation profond pendant plusieurs jours pour s’y rĂ©fugier, mais quand elles en sortent, elles souffrent Ă  nouveau. La vraie mĂ©ditation est comprĂ©hension et pas seulement apaisement, car seule la vision profonde, la comprĂ©hension, peuvent vous guĂ©rir. La mĂ©ditation n’est pas un refuge temporaire.

Ainsi donc, la pleine conscience doit conduire Ă  la comprĂ©hension et Ă  la vision profonde. Il faut donc ĂȘtre prudent lorsque vous l’utilisez pour relĂącher les tensions. Elle sera sans effet si elle n’est pas accompagnĂ©e de comprĂ©hension.

Notre sociĂ©tĂ© est prise au piĂšge du conflit entre travail et vie personnelle : nous sommes tellement occupĂ©s, nous travaillons tellement que nous n’avons pas le temps de vivre. Comment trouver un Ă©quilibre entre les deux ? La question se pose davantage parce que nous ne savons pas gĂ©rer le mal-ĂȘtre que parce que nous voulons gagner plus d’argent.

Soyons attentifs lorsque l’agitation se manifeste. Accueillons-la, embrassons-la. Pratiquons la respiration consciente. Ramenons l’esprit dans sa vraie demeure, qui est l’instant prĂ©sent, Ă©tablissons l’esprit et le corps dans l’ici et maintenant. Alors entrerons-nous en contact avec les merveilles de la vie qui n’est accessible que dans le moment prĂ©sent.

Le moment prĂ©sent est merveilleux et lorsque nous en prenons conscience nous vivons Ă  fond la vie quotidienne. Nous devons accomplir un grand nombre de tĂąches au quotidien, prĂ©parer le petit dĂ©jeuner, nous brosser les dent, prendre le mĂ©tro, faire les courses, prĂ©parer les enfants pour l’école. Accomplissons-les de façon Ă  apprĂ©cier chaque instant, car dans la tradition zen ces activitĂ©s « sont » le Bouddhisme. Il faut travailler, mais travaillons tout en Ă©tant pleinement vivant et non comme un fantĂŽme. Lorsque nous nous rendons Ă  notre travail en voiture, que nous la garons, que nous marchons vers notre bureau, nous pouvons le faire en telle sorte que chaque pas « est » la vie. Et quand vous recevrons une relation d’affaires, nous pourrons introduire de la compassion dans cet Ă©change. Ne disons pas : « Je dois terminer mon travail pour commencer Ă  vivre. » Effectuons nos tĂąches quotidiennes, de façon que chaque instant soit la vie, c’est le secret. Il n’y a plus de distinction entre travail et vie personnelle.

Tous les matins, vingt-quatre heures toutes nouvelles nous sont offertes par la vie. Ne les gĂąchons pas. Les gens diront : « Vous ĂȘtes lent, le temps c’est de l’argent. » Mais le temps n’est pas l’argent, le temps c’est la vie. Il faut nous rĂ©organiser, rĂ©organiser la sociĂ©tĂ© et notre vie de façon Ă  nous dĂ©barrasser de la pression que la sociĂ©tĂ© fait peser sur nous. Il faut rĂ©sister. Et lorsque nous marchons depuis le parking jusqu’à notre bureau, c’est une façon de rĂ©agir : « Je n’accepte pas, je le fais Ă  ma façon. La paix est dans chaque pas, la joie est dans chaque pas. » Si beaucoup de gens se comportent ainsi, la sociĂ©tĂ© changera. Un pas fait dans la pleine conscience et la comprĂ©hension apporte la joie et le bonheur.

Observons-nous pour prendre conscience de nos Ă©nergies d’habitude. Quand nous nous prĂ©parons Ă  faire une activitĂ© demandons-nous : « Quel besoin ai-je de lire le journal, de regarder la tĂ©lĂ©vision, de faire cette recherche sur internet, de vĂ©rifier ma boĂźte mail plusieurs fois par jour ? » Nous ne supportons pas d’ĂȘtre inactifs. Il nous faut aller quelque part car nous ne supportons pas d’ĂȘtre lĂ  oĂč nous sommes. LĂ  oĂč nous sommes, le mal-ĂȘtre et l’insatisfaction nous guettent et il faut les fuir. Mais il existe un pays de plĂ©nitude, c’est le pays de l’instant prĂ©sent. Il n’y a pas besoin de passeport pour y aller, la pratique de la pleine conscience vous y donne accĂšs. Chaque pas, chaque respiration nous ramĂšne au pays de l’instant prĂ©sent. Si nous savons comment y vivre, nous guĂ©rissons Ă  chaque seconde. À ce moment-lĂ , la nature est prĂ©sente avec toutes ses merveilles, la vie se dĂ©ploie dans toute sa beautĂ© et son intensitĂ© et nous pouvons enfin rentrer chez nous, dans l’ici et maintenant, le pays oĂč il ne manque rien.

Nous ne devons aller nulle part, la vie est merveilleuse Ă  chaque instant.